Voulez-vous être  évalués ? Parce qu’après tout il faut y consentir, il faut se défaire de  l’évidence que ce serait dans la nature des choses, d’y passer.
Alors, pourquoi poser la question au  Québec ? D’abord parce que le Québec est un des endroits du monde  préoccupé par son identité, que l’identité du Québec ne va pas de soi. C’est en  ce sens que le Québec, où la question de la subjectivité se joue, où il n’est  pas naturel d’être québécois – ce n’est pas dans la nature des choses, une  création de l’histoire, étrange, qui se poursuit – est donc un excellent  lieu pour poser les questions de subjectivité. Le Québec est un des endroits du  monde où se joue le grand débat – pour le dire dans des termes  anglo-saxons – entre le libéralisme, en philosophie, et le  communautarisme. C’est un débat qui a lieu, en France aussi, entre république  et communautarisme. C’est un des débats qui secoue actuellement la France, pour  savoir comment faire avec la négligence extrême avec laquelle elle a traité un  certain nombre des populations émigrées qui s’y sont logées, au nom de  l’universel de la république et pas du communautarisme. Mais ce qui en France  se joue dans des termes français, se joue aux Etats-Unis, et ici. 
Si l’on admet que l’option libérale  est celle qui conçoit le sujet comme un sujet néo-kantien, libéré de toutes ses  déterminations, et qui précède toutes déterminations possibles… En philosophie  politique, c’est la position de John Rawls, ou de Richard Dworkin, contre ceux  qui disent qu’il y a une appartenance première qui détermine ce sujet  soi-disant absolu. C’est la position de gens comme Balzer et ici comme un  philosophe canadien Charles Taylor1 qui  s’est fait le théoricien… il est allé expliquer aux américains pourquoi il est  juste que les québécois imposent une préférence pour le français, ce qui  n’allait pas de soi pour ce sujet absolu, libre, libéral. C’est pourquoi le  parti qui n’est pas pour le communautarisme québécois s’appelle le « parti  libéral », ce n’est pas seulement parce qu’il est libéral en politique,  c’est parce que c’est aussi le fondement de ce sujet, libéré de toutes ses  déterminations.
Donc, c’est une raison de plus de  poser la question de la subjectivité au Québec, c’est un des endroits où se  jouera l’avenir de ces questions pour le XXIe siècle. Au Québec,  mais aussi au Canada en général, puisque c’est en Ontario qu’a bien failli  exister quelque chose comme une région où la charia aurait pu régir les  rapports entre les hommes et les femmes, d’une certaine communauté musulmane.  Le débat est arrivé, a beaucoup intéressé, et Le Monde2,  début septembre, se faisait l’écho de cette   préoccupation. Au nom de quoi, au nom de quelle raison le gouvernement  de l’Ontario n’allait-il pas considérer que telle communauté pouvait être régie  par son goût d’appliquer la charia ? Et s’il me plait, moi, d’être lapidé,  pourquoi est-ce que je ne choisirais pas d’être lapidé ? Donc évidemment  toutes ces questions se jouent dans l’espace canadien, de façon originale,  décisive et c’est une raison supplémentaire de poser la question de ce qui, de  la subjectivité, peut ou non être ramené aux normes évaluatives, ici même. C’est  parce que ces enjeux – enjeux que l’on peut dire en effet philosophiques,  anthropologiques – se jouent maintenant dans le détail de la vie  quotidienne, dans le « divin détail ». 
Les sociétés que Freud a  rencontrées, à la fin du XIXe siècle, au début du XXe siècle  étaient organisées par la tradition. Dans ces sociétés, la vie quotidienne a  été pour lui, l’expression des manifestations d’écarts par rapport à la  tradition, aux normes, aux façons normées de vivre. Il a proposé une  interprétation : La Psychopathologie de la vie quotidienne3.  Aujourd’hui, la vie quotidienne est prise en charge, elle est interprétée de  part en part, et elle est prise en charge par le droit, elle est administrée.  C’est la bascule qu’a notée Michel Foucault. La prise en charge, aujourd’hui,  de la gestion des populations se fait non seulement au niveau global, mais  aussi, au niveau de la vie quotidienne, par une bio-politique. Il y a une  grande attention portée, au niveau des structures de gouvernement, pour prendre  en charge le privé. Et c’est pour cela qu’on peut comprendre comment  l’évaluation est une rhétorique managériale, une gestion du monde, pas une  science, à peine une technique. C’est une rhétorique qui a commencé dans les  usines de voitures de Toyota par faire obtenir une standardisation normée  (cocher des cases) pour obtenir, comme on l’a fait à Toyota… On demandait aux  ouvriers de bien expliquer ce qu’ils faisaient pour extraire leur savoir,  mettre ensuite cela sur grille normée pour standardiser, ce afin que les ingénieurs,  assez loin des ouvriers, ne comprenant pas bien ce qu’ils faisaient, comment  est-ce qu’ils adaptaient les consignes dans leurs façons de faire, comprennent  vraiment comment extraire de ceux qui faisaient, une possibilité de les normer.
Ça a commencé là, mais cela s’est  ensuite répandu comme une traînée de poudre à travers la crise, qu’il faut  appeler « crise de la gouvernance ». Le fait que les maîtres de la  société moderne, ceux qui doivent la gérer ; les politiques, ne sachent plus  comment faire. Les crises de la gouvernance sont palpables, au fond, ces  gouvernements ne peuvent plus s’appuyer sur la tradition, ne peuvent plus  s’appuyer sur des autorités qui leur sont remises au nom d’idéologies  partagées, et ils cherchent quelque chose comme une sorte de néo-certitude  scientifique sur laquelle s’appuyer. « Nous gouvernons comme ça, parce  c’est le mieux, vous n’avez plus qu’à vous taire ensuite, nous faisons cela  parce c’est la meilleure pratique ». Ça, ça vous en bouche un coin !  Si c’est la meilleure pratique, qu’est-ce qu’il y a à dire de plus ? Rien.  Silence dans les rangs ! 
La gestion de la population par la  bio-politique se constate par l’inflation, dans toutes les sociétés, des  budgets de santé, qui crèvent tous les plafonds, qui sont le point d’ingérable  des sociétés développées. Les héritages du Welfare state, tel qu’il a été mis  au point en Angleterre et sur le continent dans l’après guerre, ces héritages  qui permettent de gérer en effet la santé et la retraite, c’est ce qui coule  l’économie. On a appris, il y a peu de temps, que General Motors était  au bord de la faillite du fait de son programme de retraite et de ce qu’ils  offraient, comme garantie de santé, à leurs ouvriers. Ça, c’est au privé. Au  niveau public, la sécurité sociale en France, le régime de service public  anglais, sont toujours, en permanence, au bord de la faillite et on explique  dans toute l’Europe que surtout il faut tout enlever, enlever toujours plus. Et  on voit combien, là, se jouent, de façon décisive, les enjeux de gestion de ces  sociétés. Ce qui est devenu contemporain de nos sociétés individualistes de  masse, c’est l’affirmation dans le même temps des droits de l’homme et de  l’habeas corpus. J’ai un corps, j’ai un corps et je veux qu’il soit en  bonne santé. Et cela ça coûte une fortune. Comment est-ce que ce droit pourra  trouver sa place ? Comment y répondre pour la gouvernance alors que c’est  un droit qui se trouve pris d’une façon qui pourrait ne pas avoir de  limites ? Comment faire accepter ses limites ? C’est l’enjeu,  évidemment, de toute la rhétorique de l’évaluation.
Alors, habeas corpus mais  aussi habeas mentis. Non seulement j’ai un corps, mais j’ai aussi un  mental, et ce mental, je veux qu’il soit en bonne santé aussi. Tout prouve que  la demande de psychothérapie, pour maintenir ce mental en pleine forme, ne va  cesser d’augmenter et que c’est un marché explosif. L’organisation mondiale de  la santé, dans des rapports successifs, 2000, 2001, 2002, 2003, 2005, n’arrête  pas de le marteler. Ils constatent, je cite : « une personne sur  quatre est confrontée à des troubles psychiques ou psychiatriques sérieux au  cours de son existence… » Vous voyez, une personne sur quatre, c’est déjà  pas mal… « … et les troubles dépressifs sont en train de devenir la  maladie la plus marquante du 21e siècle »4, à  l’égal de l’infarctus du myocarde. Or, on le constate, des faits ont surgi de  l’évidence, encouraging  evidence, c’est que maintenant, on peut s’appuyer sur les  psychothérapies, pour équilibrer la prescription médicamenteuse, ou  l’accompagner. Ça, c’est la bonne nouvelle que donne l’organisation mondiale de  la santé. Les  recherches scientifiques ont montré qu’il était parfaitement possible  d’utiliser les psychothérapies pour faire face à cette catastrophe sanitaire  qui s’annonce, qui est déjà là. Et pourtant cela fait maintenant cinquante ans,  depuis qu’on a commencé à diffuser le Largactil en 1962, qu’on nous a  annoncé la fin des maladies mentales grâce à l’utilisation massive d’abord du Largactil et puis ensuite de l’Imipramine. Seulement, depuis, malheureusement, ce  qui devait être éradiqué, s’est transformé en épidémie. Malheureusement la  dépression qui devait être éradiqué grâce à la bonne nouvelle de l’Imipramine s’est transformée en une épidémie telle qu’elle a une incidence de un sur  quatre. Il faut vraiment que l’espèce humaine soit mal faite, il faut vraiment  que l’homme soit un animal dénaturé, aucun autre animal ne survivrait avec une  maladie inscrite dans ses gènes au cours de l’évolution telle que une personne sur  quatre passe par des épisodes dépressifs graves ! 
Donc, dans cette mauvaise surprise, tout de même, un espoir : les psychothérapies, voilà le remède. Bien entendu, il y a les grands espoirs donnés par Big Pharma – comme on dit, les grands laboratoires – demain, nous trouverons la panacée, « nous cherchons, ne vous inquiétez pas, dormez tranquille, avec du Stilnox, ne vous en faites pas, pendant ce temps-là, nous faisons toujours des progrès sur la circulation de la Dopamine ». Et entre-temps, on aperçoit malheureusement que quelques mauvaises nouvelles arrivent, c’est terrible, on ne peut plus prescrire d’antidépresseurs aux adolescents parce qu’ils se suicident, on ne peut pas non plus prescrire d’antidépresseurs aux personne âgées parce qu’elles aussi ça leur donne de mauvaises idées, spécialement ça libère le passage à l’acte, donc, comment faire avec nos adolescents qui ne tiennent pas en place et une population qui vieillit ? Un remède : les psychothérapies, bien encadrées, pourront contribuer à la gestion de nous-mêmes qui sommes si mal fichus, qui avons tant besoin du soutien de l’Autre. Mais, ces psychothérapies, dont on est sûr que c’est un marché formidable, il est du devoir des gouvernants de les mettre à la disposition de ces animaux malades que nous sommes. Mais comment savoir lesquelles, que va-t-on appeler « psychothérapie » ? Qu’est-ce que c’est vraiment ? C’est un enjeu qui devient un enjeu de gouvernance. Raison de plus pour en parler ici ce soir parce que le Québec est en plein remaniement, précisément, de son système de santé mentale, qu’il y a une mise au jour qui passe par une mise à l’heure de la modernité, intéressante, pleine d’enseignements.
Vous  rappeliez, en m’introduisant, une des raisons pour lesquelles, comme  psychanalyste, je m’intéresse à ces questions – qui après tout sont des  questions de santé mentale, qui dépassent ma pratique. Ce ne sont pas les  responsables du gouvernement qui viennent me voir. Ceux qui viennent me voir,  ce sont des gens, un par un, qui demandent à être allégés de leur souffrance.  Mais ce qui fait que, comme psychanalyste, il a bien fallu s’occuper de tout  ça, c’est que dans ces remaniements, dans le fait que la psychothérapie est  devenue un enjeu d’état, la psychanalyse s’est vue interrogée de façon nouvelle  par l’état : « Dis qui tu es, qui es-tu toi  psychanalyste ? Est-ce que toi tu es formatable ? Est-ce que  toi, on peut te comparer à d’autres et te mettre au rang de toutes ces aides  dont aura besoin le citoyen moderne ? Est-il légitime d’envoyer les gens  te voir, toi, psychanalyste et en plus les rembourser, ou est-ce que c’est une  thérapie de confort, comme l’aspirine ? ».
Toutes  ces questions étaient spécialement en question avant qu’en France cela prenne  cette tournure désagréable pour les psychanalystes français, et pour les  français en général, en 2002-2003. Le consensus sur les psychothérapies était  établi depuis 1995. Les études sur l’évaluation de psychothérapies avaient  obtenu une sorte d’état résumé dans une communication de Luborsky5 de la  façon suivante : entre les thérapies dites « de bonne foi », c’est-à-dire guidées  par une structure théorique cohérente, pratiquées depuis longtemps, et qui ont  des fondements qui permettent une recherche, le fait est qu’on ne trouve pas  beaucoup de différence dans l’application. C’est ce qui s’appelle, dans  l’évaluation des psychothérapies, le problème du verdict du Dodo. Dodo  verdict problem.
Il s’agit d’un hommage à Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles. Je vous le rappelle, le dodo, est un oiseau formidable, très beau, qui avait été mis à la mode, au moment où Lewis Carroll écrivait, grâce aux travaux de Darwin sur l’évolution des espèces6. Le dodo est une espèce disparue, mais dont on a des reconstitutions extraordinaires et l’oiseau dodo, dont il y avait encore à Madagascar quelques traces suffisantes, est choisi par Lewis Carroll. Alice rencontre le dodo, tous les animaux sont là et ils vont tous se plonger dans l’eau. Ils sont tous mouillés. « Comment va-t-on se sécher ? » Demande-t-on. On commence par raconter des histoires sèches, arides, mais les oiseaux ne sèchent pas. Alors l’oiseau dodo, qui a une grande sagesse, propose un remède, on va tous courir, on va faire une course « en comité », a « caucus race »7, une course à la comitarde. Qu’est-ce que c’est ? On ne sait pas, l’important est qu’on le fasse tous ensemble ! Et les oiseaux se mettent tous à courir de ci de là, comme ils peuvent, chacun interprète la comitarde à sa façon. « Lorsqu’ils eurent couru pendant une demi-heure environ et qu’ils furent tout à fait sec, le dodo proclama soudain : “la course est terminée”…Mais qui a gagné ? Tout le monde a gagné et tous nous devons recevoir des prix »8 dit le dodo. C’est le problème du verdict du dodo pour les psychothérapies.
C’est qu’au  fond, des psychothérapies extrêmement diverses, obtiennent à peu près le même  type d’effet. On a pu montrer, n’est-ce pas, que 15% des gens vont mieux  lorsqu’ils ont pris le rendez-vous, avant d’avoir rencontré qui que ce soit,  c’est palpable, déjà 15% vont mieux ; 70% des effets sont obtenus avant la  cinquième séance, dans les thérapies brèves, c’est-à-dire avant qu’on ait mis  en place les grandes interprétations côté psychothérapies interprétatives, ou  avant qu’on ait mis en place tout le fourbis « cognitivo-machin »  enfin, les petits exercices que l’on doit faire chez soi, et les grandes  reprises de votre conduite sur de nouvelles normes, etc. Bref avant qu’on ait  donné des interprétations, avant qu’on ait refait vos habitudes, déjà 70% des  gens vont mieux, et ceux qui vont mieux là, iront mieux ensuite. Mais ceux qui  ne vont pas mieux à ce moment-là, n’iront pas mieux plus tard. Donc, de façon  étrange, l’essentiel des effets est obtenu, quand on parle d’effets courts.  C’était ce qu’on appelle « le problème du dodo ».
 Donc, depuis 1995, on vivait là-dedans, et  puis, un certain nombre de grands esprits ont pensé qu’il était urgent de  casser cela. Donc, un certain nombre d’esprits scientistes, – étant donné  la structure de la France, pays jacobin, extrêmement centralisé – une  petite équipe de notre institut de santé, L’Inserm, s’est dit qu’il fallait  faire aussi bien qu’avaient fait les anglais dans leur institut, le NICE. Ils  avaient fait, peu de temps avant, une petite étude montrant que, tout de même,  les thérapies qu’on appelle chez nous les thérapies cognitivo-comportementales,  les thérapies « coco » (rires) – mais qui chez vous, on me l’a  expliqué aujourd’hui s’appellent les thérapies behavioro-comportementales –  avaient un avantage, car prescriptibles. L’Inserm français a voulu aller plus  loin, plus fort9. Donc ils se sont  débrouillé pour monter un dispositif rhétorique, tel qu’ils aboutissaient à  ceci qu’en montant bien la chose, en admettant que des études, des analyses,  qui avaient validé des segments de comportements, des troubles purs, des  dépressions pures, des phobies pures, des troubles TOC purs, etc., – donc  coupés de tout rapport avec un symptôme co-morbide ou bien avec la personnalité –  une fois qu’on obtenait ça, on faisait une petite liste de 15 trucs purs,  petits segments, bien découpés, et on rajoutait, en seizième, les troubles de  la personnalité. Donc, vous avez les parties, et puis le tout. Le tout est une  des parties (rires), pourquoi pas ? C’est une question de  définitions ! Donc, vous montez votre dispositif comme cela et vous  constatez « Ah, les thérapies d’inspiration psychanalytiques, ou  interpersonnelles, sont efficaces pour les troubles de la personnalité, pour la  seizième partie, la roue de la charrette, mais pour les quinze autres, alors  là, les thérapies prescriptibles sont beaucoup plus efficaces ». Donc,  L’Inserm a sorti sa machine de guerre de façon à faire sauter le consensus du  verdict du dodo. C’était un effet réveil ! Alors on s’est réveillé sur le  thème « Il ne faut pas complètement se moquer du monde ! »,  c’est quand même construit de façon extrêmement biaisée, partiale,  et ce n’est pas un hasard si ce n’est pas en  accord avec ce qui précède. Alors, depuis, puisque tout cela était dans le  cadre d’une loi qui voulait régir les psychothérapies en  France, l’urgence est mondiale… On me dit  qu’ici la législation sur les psychothérapies, c’est dans six mois. Il y a un  mois j’étais en Norvège, c’est pareil. 
Entre-temps nos amis belges, dont je salue les représentants, un an après l’Inserm, ont publié un rapport aussi important pour guider la législation sur les psychothérapies. Ce qu’il y a de très intéressant c’est qu’ils ont pris le contre-pied du rapport de l’Inserm, en ne se laissant pas impressionner, et en disant qu’en effet étant donné les biais qu’avait pris l’Inserm, leur rapport se trouvait à disqualifier toute approche qui ne soit pas « coco ». Au contraire, eux, ont noté que le grand problème, c’est que dans l’approche qu’a pris l’Inserm, l’erreur centrale, – outre l’erreur méréologique, de prendre la partie pour le tout – ce qui est contestable de façon centrale, c’est le recours à l’évaluation pour l’évaluation des psychothérapies, aux essais cliniques randomisés (anglicisme à partir du mot anglais random, pris au hasard), c’est-à-dire la même méthode que celle qui est utilisée pour la mise au point des médicaments. Cette procédure repose sur un point : on mesure l’effet d’un traitement par rapport à un groupe contrôle. Pour les médicaments, on prend le médicament nouveau que l’on veut tester et on prend un groupe contrôle qu’on met sous placebo. Le problème c’est que, pour que ça marche, il faut une homogénéisation absolue, à la fois du groupe que l’on prend comme groupe contrôle, et du groupe que l’on soumet au traitement. Comment va-t-on établir l’homogénéité absolue des cas pris en charge dans un groupe et dans l’autre ? D’où l’idée d’obtenir des pathologies pures. Or ces pathologies pures sont extrêmement difficiles à obtenir. Elles sont établies sur la base du Diagnostic and statistical Manual of mental disorders, du DSM, qui a déconstruit les traditions cliniques de différents pays pour remplacer cela par des troubles que l’on énumère, par des syndromes, qui sont des segments de conduite, des segments symptomatiques, réduits à des troubles constatables dans une approche comportementale.
Les  psychiatres eux-mêmes critiquent cette approche en constatant ses limites et  ses faiblesses. Les catégories du DSM ne sont pas des catégories scientifiques,  ce sont les catégories de l’époque de la clinique démocratique, elles sont  votées ces catégories. Elles sont votées par l’association américaine de  psychiatrie, et on passe aux voix…. Voulez-vous inclure le road rage ?  Levez la main ! Sur quel critère va-t-on différencier les dépressions  profondes ? Comment est-ce que l’ancienne mélancolie va-t-elle être  démontée entre les dépressions profondes, les dépressions légères ? Où  va-t-on mettre la coupure entre les troubles de l’anxiété généralisés et le  continuum dépressif ? Les psychiatres eux-mêmes constatent que rien ne  dit, mais alors rien, que la cause ne soit pas la même. Rien n’indique où  il faut mettre la coupure entre ces différentes gradations du continuum  anxio-dépressif. Au début, il y a 20 ans, on était content, il y avait les  anxiolytiques pour traiter l’anxiété et il y avait les antidépresseurs pour la dépression. Manque  de chance, avec le temps, on s’aperçoit que les anxiolytiques c’est une  catastrophe parce que cela crée des addictions, donc là où il y avait les  anxiolytiques, on prescrit aussi les antidépresseurs.
Alors  pourquoi ? Si ce sont deux catégories, pourquoi le même médicament marche sur  toutes ? D’où les questions. C’est que, les psychiatres biochimistes les  plus fanatiques, ceux vraiment qui ne croient qu’au déterminisme biologique, ne  croient pas du tout au DSM. Ils ne considèrent pas du tout que ces  catégories aient une validité   scientifique quelconque. C’est simplement une langue pratique. Avec le DSM lui-même, non seulement on vote sur les catégories, mais on vote sur les  critères d’inclusion, c’est ce qui fait que, par exemple, le prix Nobel  d’économie, et psychotique, Nash – qui a donné lieu au film A Beautiful  mind10 – Nash parle  de façon très amusante, si je puis dire, en tout cas très intelligente et  ironique, de sa maladie. Il constate lui-même qu’il a changé quatre fois de  diagnostic dans sa vie. 
Alors, le même sujet constate qu’il a été traité comme schizophrénie, ensuite comme psychose en général, puis il a été traité comme trouble bipolaire et ensuite comme border-line. Et retour… Selon les médicaments, selon… Et il en parle très bien, il considère ce que les médicaments lui font, en disant que c’est bien, mais quand même pas extraordinaire, que c’est quand même surtout lui-même qui s’est sorti d’affaire, par la construction d’un délire formidable, si je puis dire. L’équilibre de Nash… Vous vous rendez compte ? Un sujet psychotique qui a construit son œuvre qui porte le nom d’ « Équilibre de Nash », et lui-même a fini par trouver un équilibre, c’est probablement le plus bel équilibre qu’il ait pu trouver, c’est un équilibre dans une « situation non compétitive ». Quand lui-même dit, de façon pathétique, « Oh, je n’ai jamais eu vraiment d’hallucinations, c’est mon fils qui en a, mon fils me dit, oui, qu’il entend des voix, mais je crois qu’il fait cela surtout avec moi, vous savez, dans la rivalité entre le père et le fils… Je ne suis pas sûr qu’il en ait ». Donc quand on voit ce type de problèmes, comment croire qu’on établit des catégories pures, des groupes purs avec des groupes de contrôle purs ? On fait ce qu’on peut. Ça ne va pas beaucoup plus loin. En plus, comment extraire cela des catégories de la clinique en communauté – de la « communi-clinique », comme on dit – dans lesquelles les gens qui arrivent ont des co-morbidités, ont des troubles extrêmement complexes ? Alors, pour extraire le « trouble pur » même si on croit à ces catégories du DSM, c’est extrêmement difficile.
Par ailleurs comment fait-on ? Comment peut-on dire que l’on va donner un placebo à des gens souffrants de maladie mentale, des dépressions, des gens qui disent « je vais me suicider », qu’est-ce qu’on fait ? On leur donne un placebo ? Quoi ? Une absence de traitement ? Qu’est-ce que c’est exactement le « placebo » ? Qu’est-ce que c’est le placebo, spécialement en plus dans un domaine dans lequel on sait que 15 % des gens vont mieux après le premier coup de téléphone ? Ou c’est le placebo ? Donc, quand on met des gens sur liste d’attente, en quoi est-ce qu’on a un effet thérapeutique nul ? On a un certain effet thérapeutique, précisément l’effet placebo, qui dans notre champ, est très important et a toujours été reconnu comme tel. Donc, l’effet clinique randomisé, sous son masque scientifique, sous le fait que ce serait vraiment le gold standard, est en fait un masque.
Et des voix critiques se sont fait entendre, aussi bien, en effet, dans les pays de langue française, France, Belgique, Suisse, Québec (qui est un pays dans un pays, mais enfin…). Et même aux États-Unis, où après le rapport de l’Inserm, un rapport d’un dénommé Westen11, de Émory University, a fait paraître un article critique – que l’on peut d’ailleurs trouver sur le site de l’American psychological association, puisque cela sert beaucoup les intérêts de l’association des psychologues américains – Westen a montré que les essais cliniques randomisés introduisent des biais très importants, et il a pris un exemple, il y a en a beaucoup, c’est un pavé, je l’ai là… C’est épais. Mais il y a un exemple qui est facilement transmissible. C’est l’étude la plus importante dont nous disposons, qui ne soit pas une pure étude de laboratoire, – ces études du type : avec 100 personnes recrutées, dont on sélectionne 75 qui sont inclues, recrutées par petites annonces, screenées… Enfin, le type d’étude très artificielle… Mais, il y a des études sur la dépression du NIMH – l’Institut National pour la Santé Mentale américain – effectuées sur trois centres hospitalo-universitaires, et qui ont commencé à publier des résultats à partir de 1990, on en a régulièrement… Ce sont donc des populations extrêmement choisies, avec un luxe de précautions pour calibrer les populations, calibrer les groupes de contrôle… Calibrer les thérapeutes, appliquant tous un manuel, et faisant deux types de thérapies, les thérapies comportementales12 et la thérapie interpersonnelle13. La thérapie interpersonnelle étant une sorte de dessiccation, de mise en manuel, à suivre, mise en manuel d’une approche psycho-dynamique. Donc, avec un luxe extraordinaire, sur les trois centres dans lesquels cela a eut lieu, ils ont obtenus des résultats qui donnent un écart inexplicable entre le fait que… Dans tous les cas l’Imipramine a eut de bons résultats. Mais, dans deux centres ils obtenaient des effets exactement inverses entre les résultats des thérapies interpersonnelles et les résultats des thérapies comportementales. Dans un cas, c’était les interpersonnelles qui avaient fait mieux, dans l’autre cas, c’était les comportementales. Comment pouvait-on expliquer cela, tout ayant été standardisé à mort14 ? On ne pouvait pas faire mieux, on n’a pas fait mieux dans le monde dans la standardisation et on n’obtenait une discrépance des résultats, comment ? Pourquoi ?
C’est pour ça que ça les occupe, ça les occupe depuis 1995 ce petit jeu. Tout cela coûte des millions, mobilise les meilleurs esprits…Ça m’arrache le cœur toujours de voir les collègues de la Columbia, à New-York, des esprits aussi bien faits et compétents, s’épuiser à ces trucs-là, à refaire perpétuellement ce type d’exercice, ils feraient mieux de s’occuper de psychanalyse. Mais non, il faut qu’ils s’occupent d’aller vérifier les comptes, refaire les machins, éternellement, bref ! Ces gens-là qui sont à part ça de grands esprits, se sont accrochés à la question, comment rendre compte de ces écarts ? Alors, ils ont tout refait, les interviews de tout le monde, re-visionner les bandes vidéo parce que chaque séance de ces trucs-là est en vidéo, c’est comme ce soir ici. En permanence, il y a ce type de stockage de tout. Ils ont donc repassés le tout et ils se sont aperçus qu’au fond, quelle que soit la standardisation du manuel, en fait, tout le monde faisait la même chose. Que, les comportementalistes et les interpersonnels, en fait, faisaient la même chose ; que les interpersonnels, étaient en fait très prescriptifs dans ce qu’ils faisaient et que les comportementalistes s’occupaient beaucoup de l’histoire parentale du sujet qui venait les voir et qu’en fait, dans la pratique ils faisaient la même thérapie, ce qui donnait la constance des phénomènes, ce qui expliquait qu’au fond c’était à peu près équivalent et l’écart… (à expliquer, pourquoi dans un cas cela avait fait mieux de façon significative pour une thérapie ou une autre ?) Ils se sont dit que ça ne pouvait pas venir de la thérapie puisque les gens, dans les faits, faisaient à peu près la même chose, donc cela ne pouvait venir que des patients, comment l’expliquer ? Donc, par des trucs très sophistiqués, ils se sont aperçus que probablement, dans l’isolation des dépressifs, ils avaient mélangés en fait des troubles de la personnalité. Il y avait des gens qui étaient plus narcissiques et des gens qui étaient plus anaclitiques, comme on dit dans le jargon, qui étaient plus dépendants de l’autre. Alors, les narcissiques sont plus résistants au transfert – enfin à « l’alliance thérapeutique », comme on dit aussi dans ces trucs-là pour ne pas dire « transfert ». Donc, les narcissiques résistent au transfert. Résultat : ils avaient eu beau standardiser à mort les patients, les troubles de l’axe II étaient passées inaperçus, et hop ! Donc, grand problème, vous avez beau randomiser, vous avez beau standardiser, vous avez beau normer, on retrouve les problèmes du verdict du dodo et on retrouve le problème du fait que les troubles de la personnalité ne sont pas sécables si facilement de la personnalité elle-même. On a beau essayer de minimiser cela on le voit ressurgir de l’intérieur des études les plus complexes dont nous disposons. Et Westen, qui à part cela est très malin trouve des tas de biais pour montrer les limites de ce type de problème… C’est ce qui fait que dans le rapport du comité d’hygiène belge15, qui, lui, inclut le rapport de Westen, qui l’a lu, montre bien la limite du crédit qu’il faut accorder à ces études randomisées qui avaient été absolument sacralisées par l’Inserm français.
Et donc, ils prennent en compte un changement de perspective qui est qu’il faut inclure, face à la perspective de l’évaluation par essais randomisés, il faut inclure les études de cas, systématiques et sur longue durée, suivis de monographiques, il faut prendre les études de cas, comme on dit, en situation « naturaliste »16, c’est-à-dire le suivi des statistiques de consultations qui sont celles des hôpitaux, en communauté – et non pas dans ces situations soi-disant de laboratoire où on aurait des phénomènes purs – mais accepter d’avoir l’impur de tout ce qui vient en consultation, c’est-à-dire avec des troubles co-morbides énormes, avec des troubles de la personnalité partout, et dans lesquels on n’arrive pas à faire les petits jeux de découpage, l’origami mal conçu… En plus, pour mesurer l’impact d’une thérapie sur un sujet, prendre en compte le fait qu’il faut partir aussi de ce que le sujet attend de la thérapie. C’est ce que, maintenant, l’Association des psychologues américains, s’appuyant sur tout ça, vient en effet de prendre comme nouveau point de vue, il faut partir des thérapies value oriented, à partir des valeurs du sujet, du patient, que ça compte17. À partir de cette idée qu’il faut centrer cela sur les valeurs du patient et que ce n’est pas pareil si le patient adhère, s’il veut, lui, savoir quelque chose sur son fonctionnement psychique, au départ, ou s’il ne veut pas, ou si en effet il ne veut rien savoir de ce qu’il est, qu’il veut du médicament et « foutez-moi la paix avec tout ça ! Donnez-moi le remède », très bien, c’est une valeur. Mais si je veux savoir ; si je ne veux pas savoir ; si pour moi l’approche scientifique a une valeur ; si je ne veux pas de médicaments mais en même temps je veux des médicaments de la pharmacopée chinoise traditionnelle, par exemple ; ou je veux en même temps faire partie d’un groupe d’entraide qui ait la même origine ethnique que moi… Que tout ça doit être pris en compte.
Et donc, maintenant, alors que l’Association des psychologues américains – très puissante, grosse machine, gros syndicat – avait tout misé sur les essais randomisés, ils ont changé18. Depuis un draft circule, qui est à l’étude actuellement dans l’Association des psychologues américains, pour conclure, – Ils vont probablement le faire avant la fin de l’année – ils recommandent maintenant d’abandonner l’exclusivité de l’approche randomisée pour passer à d’autres approches.
C’est  ce qui fait que ça n’est pas en effet à travers ces études randomisées,  qui sont là pour casser le transfert… Vous avez des attentes préalables, vous  voulez être traités d’une façon ou une autre, et bien non, par l’assignation au  hasard, vous êtes obligés d’aller voir tel type de thérapeute parce que vous  êtes assignés au hasard. Et de même, on en est arrivé, dans ce type d’essai, à  demander à des gens qui préfèreraient pratiquer un type de thérapie, par  exemple comportementale, on leur demande d’appliquer le manuel des thérapies  relationnelles pour être bien sûr que le manuel marche de façon standardisée.  Et on s’étonne après, on s’aperçoit que l’allégeance – allegiance –  du thérapeute compte beaucoup, que finalement s’il ne croit pas à ce qu’il fait  ça ne marche pas. Ça marche moins bien, ça marche mal. Ce type d’évidences, on  a l’impression quand-même que ce sont des absurdités. Mais justement, c’est  pour pousser la standardisation, pour obtenir vraiment l’homme machine, le  thérapeute machine, celui dont la subjectivité serait annulée, réduite à ce  qu’il opère, à sa technique. C’est pour ça qu’à l’occasion on teste contre son  allégeance, on leur demande de faire ce qu’ils ne savent pas faire, ce qu’ils  ne veulent pas faire et cela permet de bien vérifier si la technique marche.
Précisément,  ça ne marche pas. Et ce que l’on obtient, dans toutes ces machines à casser,  mépriser les transferts, à considérer les transferts comme l’ennemi, on obtient  les mêmes types de résultats qui ont été obtenus dans la façon dont  l’enseignement supérieur anglais a été soumis aux techniques d’évaluations. Les  anthropologues anglais ont fait valoir que le résultat de ces techniques où on  a essayé d’obtenir le secret, savoir pourquoi il existe des grands professeurs…  Ça existe. À l’université, il y a des gens pour qui les étudiants sont prêts à  se crever pour être dans le groupe du doctorat de tel professeur, parce qu’il a  un charisme, parce qu’on veut être avec lui, parce que son enseignement compte.  Donc l’enseignement supérieur a toujours marché là-dessus, au désir – être  un doctorant, quand on est dans des études qui marchent, dans les équipes qui  marchent, ça vous arrache les tripes. On ne fait pas ça tant d’heures par jour  et puis après on arrête parce que c’est 35 heures / semaine. Dans certaines  équipes scientifiques, les types dorment dans le laboratoire, sur les  paillasses. C’est pareil dans les lettres, les grands professeurs entraînent  cela, ils savent obtenir cela. Donc, on a fait des questionnaires, des  évaluations, des trucs, « expliquez-nous comment vous faites, quelle est  la best practice ? Comment faites-vous ? » Tout ce que ça  fait c’est que ça détruit, ça détruit les transferts, ça détruit les équipes. Résultat  de ça : cela a produit, en Angleterre, une émigration massive de ces bons  universitaires, qui en avaient marre de répondre à des questionnaires tout le  temps, et qui ont émigré, qui aux États-Unis, qui en Australie, certains sans  doute au Canada, où on leur fichait un peu plus la paix, où ils pouvaient avoir  des crédits pour ce qu’ils avaient à faire et pas répondre aux administratifs  en permanence. 
Au fond ce type d’effet peut être parfaitement obtenu partout : dégoûter les gens. Les ramener à « vous êtes des machines et vous parlez à des patients machines », au nom de « c’est la meilleure pratique, le benchmarking dit que c’est la best practice », c’est tout. Ce type d’effet contreproductif, sur la standardisation, produit en effet quelque chose qui est que, en dehors de ces soi-disant évaluations, il y a ailleurs une toute autre utilisation par les usagers que ce qui est décrit ici. J’ai rencontré cet après-midi madame Lourdes Rodriguez del Barrio qui, ici, va prochainement publier un livre sur l’évaluation à partir de critères qualitatifs19. Elle montre bien combien, à partir d’études de récits de vie recueillis de façon plus ou moins standardisés, à mesure que l’on veut formater il y a des effets paradoxaux qui sont que les « usagers » – les « clients » comme on dit dans le jargon néo-commercial qui s’applique maintenant à l’universel – combien les sujets impliqués détournent ces procédures pour utiliser tout cela de façon à se faire soigner par qui ils veulent, comme ils le peuvent, avec les gens avec qui ils ont noués des transferts, avec les communautés avec qui ils ont noués des transferts, avec les équipes hospitalières, avec telle personne avec qui ils ont eut une bonne rencontre, et comment ils arrivent à subvertir, précisément, comment ils arrivent à passer. C’est leur passe, leur chemin, à travers cette volonté de formatage.
Il y a une autre façon dans laquelle on pousse, on encourage les psychanalystes à rentrer dans le circuit de la mesure. Cela a été les « études après-coup », dans lesquelles, l’Internationale de psychanalyse, pour soutenir l’IPA, la Société bien connue – je n’en dirai pas plus – a choisi, elle, une politique auprès de ses adhérents, de les encourager à passer à la mesure. Ce, en disant qu’il y a des mesures très humaines, la preuve, il y a des mesures d’après-coup d’efficacité d’une psychanalyse. L’efficacité après-coup… L’endroit du monde où, bien entendu, on a pu constituer des fichiers du plus de patients recueillis après-coup, c’est en Allemagne, dans lequel, avec la discipline bien connue des sociétés allemandes, quatre cents cas, avec les listes de noms, ont été donnés par les psychanalystes qui les avaient reçus, quatre ans après la fin de leur traitement, chacun est passé par deux entretiens avec des enquêteurs, chaque enquêteur a eu lui-même des entretiens, un avec le psychanalyste, un avec le patient et un avec celui qui était le superviseur du psychanalyste à l’époque, enfin une machinerie formidable, à l’allemande, un moteur de Mercedes. Simplement, quel est le résultat de tout ça ? Alors, on nous dit que c’est absolument formidable parce que « 75 % avaient qualifié, dans leur questionnaire, leur état général de “mauvais” avant la psychothérapie et 81 % l’ont qualifié de “bon” après la psychothérapie (…) entre 70 et 80 % des patients ont indiqué des changements positifs concernant leur capacité à se confronter aux événements de la vie, leur estime de soi, leur humeur, ainsi que la satisfaction de leur propre vie. Et par ailleurs, les échelles d’évaluation – parce que tout le monde a dû passer par son évaluation – a pu permettre de constater que les symptômes n’étaient plus au niveau cliniquement observable. »20 Alors l’efficacité, aussi, concerne la dépense que les traitements avaient occasionnés. On s’est aperçu que, tout de même, ils ont été largement compensés par le nombre décroissant de jours chômés, donc l’absentéisme a diminué, et leur recours à l’hospitalisation dans d’autres services a diminué aussi. Les gens qui souffraient de troubles anxieux ont arrêtés de se précipiter aux portes des hôpitaux en urgence, parce qu’ils allaient mourir immédiatement d’un arrêt cardiaque. Ils ont arrêtés de se faire hospitaliser pour des maux inexistants, etc., etc. Donc, l’ensemble du recours au système de santé en général a diminué, et par ailleurs, ils ont montré « une efficacité et une créativité professionnelle plus grandes ». Ils étaient plus créatifs au travail, c’était mieux... Bref, si vous voulez, tout de même, le fait que cette étude a aussi abouti à ce que, en résumé de la conclusion, on constatait que 84,3 % des anciens patients étaient en ascension sociale.
Donc,  on bousille la confidentialité qui lie le patient et son analyste pour 400  personnes, on donne l’idée qu’à tout moment le psychanalyste peut se  transformer en un agent de l’état. « Donnez votre nom, des enquêteurs vont  aller vérifier si cela a bien marché, vont faire  passer des entretiens, etc. » On casse  cette relation de secret essentielle. Tout ça pourquoi ? Pour démontrer à  l’appareil d’état que 84,3% des gens sont plus adaptés au système. L’adaptation  sociale est meilleure. Donc, ils se réjouissent du fait que, vraiment, des  études comme ça démontrent que la psychanalyse appliquée a son droit de cité  dans tout ce champ d’expansion du marché à un prix, dont visiblement on a le  sentiment qu’ils n’évaluent pas ce que veux dire ce prix payé pour vouloir, à  tout prix, être inclus dans les machineries évaluatives… C’est toucher à des  principes fondamentaux de la relation avec nos psychanalystes21. Au  fond, le mode d’enquête d’évaluation qualitative tel que celui mis au point ici  par madame Rodriguez del Barrio, et dans d’autres pays, sont tout de même  beaucoup plus utiles, sont plus civilisées et ne touchent pas aux principes  fondamentaux de la psychanalyse et de son exercice. C’est pour cela que,  contrairement à l’IPA, nous n’encourageons pas nos adhérents, les gens qui  s’intéressent à nos travaux, à se précipiter sous la toise évaluatrice, même si  ce sont des études après-coup.
Venons-en  maintenant à interroger l’horizon de cela, qu’est-ce qui justifie le recours  aux essais randomisés, à l’évaluation de ce type ? Ce qui justifie  cela, ce serait le fait qu’après tout, en effet, la thérapie est un médicament,  qu’elle a des actions biologiques, mesurables biologiquement. Et d’ailleurs on  fait maintenant des thérapies sous IRM, où on s’aperçoit qu’entre la zone  touchée par un antidépresseur et l’effet placebo antidépressif, ce sont les  mêmes zones qui s’allument, qui flambent sur l’image. La perspective, c’est la  fausse fenêtre ouverte par Éric Kandel22 et  ses travaux sur la   mémoire. Vous savez qu’Éric Kandel a obtenu un prix Nobel de  médecine en 2000 pour des travaux portant sur les questions de la mémoire. Il a établi  qu’il existe deux types de mémoires, les mémoires dites  « langagières », et les mémoires qu’il a appelées « procédurales ».  Les mémoires procédurales sont les mémoires des apprentissages. Et Kandel est  parti de Pavlov, il le dit lui-même, mais qu’il a compliqué du modèle de Léon  Kamin, de l’association de stimulus contingents, qui a permis de travailler sur  comment, dans l’association de stimulus de très, très, peu de distance, en  mesurant cela très précisément, on arrive à associer des stimulus plus  complexes. Alors que Pavlov c’était très simple, dans la fameuse expérience du  coup de sonnette : la nourriture, le chien bave, on lui coupe la  nourriture, on remet le coup sonnette, il continue à baver. On voit  l’apprentissage du lien. Là, avec Kamin, on obtient des modèles d’apprentissage  plus complexes et Kandel en a fait des modèles très sophistiqués – c’est  un grand esprit, incontestablement – et son idée… Il est très pour la  psychanalyse quand même, il dit simplement, « la psychanalyse, ça ne passe  pas du tout par le langage, dans la psychanalyse, on parle, mais ce n’est pas  cela l’important, l’important c’est que par la durée de la psychanalyse, par la  durée des séances, on arrive à changer les procédures  des apprentissages du sujet ». Et  donc, pour lui, l’essentiel d’une psychanalyse, c’est le changement des  mémoires procédurales qui sont absolument non langagière23. Il  dit que l’inconscient de Freud c’est ça, voilà. Et nos collègues de l’IPA son  enchantés – en tout en cas tout un secteur – ils sont tellement  enchantés qu’ils invitent Kandel dans leurs congrès, ils citent cela dans leurs  publications, ils sont ravis, la psychanalyse est justifiée, la preuve, Kandel  l’a dit et c’est un grand esprit, il est prix Nobel. Ils ouvrent leurs  congrès, ils font venir Damasio,  neuro-cognitiviste des émotions, qui est applaudi par la salle… Ça, c’est la  perspective « l’inconscient est biologique ».
J’ai vu qu’un de nos collègues, membre de l’AMP, François Ansermet, qui s’intéresse aussi à ces questions, est venu ici parler de « neuroscience et psychanalyse ». Il a écrit un ouvrage avec Magistretti, un de ses collègues professeur de neuroscience qui est maintenant président de l’Association européenne de neuroscience, et avec lequel j’avais une discussion, il y a peu, sur ce problème-là. La question est de savoir si, oui ou non, nous acceptons de dire que l’inconscient ce sont des traces neuronales. Est-ce que l’inconscient ce sont les traces que Kandel a mis au jour ? Est-ce que ces traces peuvent être ralliées, d’une façon isomorphique quelconque, par des jeux de structure, des voies de passage diverses, ramenées au langage ? C’est ce à quoi Daniel Widlöcher, ex président de l’I.P.A., a voué son œuvre : la traduction de toute la psychanalyse en des termes cognitivistes dans lesquels la pulsion est une cognition émotive, l’interprétation, une co-pensée, le transfert aussi, sur cette base-là. Tous les termes de la psychanalyse peuvent être retraduits dans un vocabulaire, dans lequel, en dernière instance, finalement, la psychanalyse peut être traduite sur les bases dont Kandel use. C’est précisément ce qui me paraît tout à fait impossible. D’ailleurs, le livre d’Ansermet et Magistretti24 est tendu entre le fait qu’ils reconnaissent à la fois, dans une note finale, qu’en effet la perspective de Kandel a introduit un nouveau paradigme et, en même temps, Magistretti notait au début combien il essayait de persuader Kandel qu’il n’était pas possible de dire que l’inconscient était une mémoire procédurale, une mémoire non langagière. Et Magistretti, qui connaît bien Kandel, depuis très longtemps, il travaillait avec lui en post-doc, a essayé de le persuader qu’il devrait, lui, Kandel, prendre la perspective de Lacan, que justement l’inconscient c’est langagier. Il dit que ce n’était pas possible, qu’il n’y arriverait pas, à persuader Kandel. Parce ce que ce qui est incompatible avec un système de traces, un système de réduction de l’inconscient à un apprentissage, un apprentissage de mauvaises habitudes… Ce qui est impossible – on pourrait le dire comme ça, c’est l’argument utilisé par Chomsky, dès 1971, dans son article25 contre Skinner – c’est que le langage a une propriété irréductible à tout apprentissage, c’est que le langage peut produire des phrases en nombre infini. Et aucun système dans lequel vous avez une définition finie des traces, quelle que soit la re-combinaison que vous pouvez penser après, vous dites : « d’accord, il y a beaucoup de neurones, comme il y a beaucoup de neurones, beaucoup de synapses, ça fait dix puissance dix… ça fait beaucoup ». Oui d’accord, c’est la générativité infinie des phrases du langage – qui est l’argument que Chomsky a mis en avant pour son programme génératif, qui est arrivé en impasse, c’est-à-dire qui est arrivé au bout de son efficacité, mais qui conserve absolument toute sa validité même si lui-même a abandonné l’espoir de transformer le langage en fonctions récursives – mais tout de même, sa critique et le point sur l’infini, restent parfaitement l’objection aux conceptions du langage conçu comme système de traces.
Avant  cette perspective des neuro-sciences à la Kandel, il y avait, dans les années  70, un élève de Lacan qui avait essayé de déduire le langage à partir d’un  système de traces. Lui, ce n’était pas sur le cortex et les neurones, c’était  sur l’idée « le corps érogène garde les traces ». Cet élève  s’appelait Serge Leclaire, et il avait eu l’idée d’expliquer qu’avec les traces  de jouissance laissées comme traits, traits de jouissance, il était possible, à  partir de là, par les structures isomorphes, d’expliquer qu’au fond, entre les  traits qui étaient déposés sur le corps érogène et le langage, on arrivait, par  un système de pré-signifiant, post-signifiant, proto-signifiant, on arrivait à  rejoindre le signifiant, non. Et son projet est arrivé en impasse, pour cette  raison, qui est toujours la même, qui est qu’il y a un point où, justement, le  système de batteries de traces et leurs combinaisons butte sur une des propriétés  fondamentales du langage : l’infini ; et l’autre, bien connue, qui est que  nos enfants arrivent à parler. C’est un miracle ! C’est un miracle étant  donné ce qu’ils entendent, étant donné le peu de phrases qu’ils entendent,  étant donné, finalement, le peu d’apprentissage qui est le leur, les enfants  arrivent à parler, y compris quand on leur parle des langues mutilées. Il n’y a  qu’une chose qu’ils n’arrivent pas à faire c’est, si jamais ils ne sont pas  plongés dans un bain de langage, c’est-à-dire, si on prend des enfants  – et heureusement ce ne sont pas des expériences qui sont faites, mais ce  sont des malheurs de l’existence qui peuvent faire qu’un enfant n’est pas plongé,  pendant un certain temps, dans l’interlocution humaine, cela devient des  enfants sauvages. Il y a eu quelques cas relatés au XVIIIe siècle,  il y en a quelques uns au XXe siècle, dans lesquels les enfants  n’arrivent pas à parler. Mais sinon ils arrivent à parler, et non seulement  cela, mais ils arrivent à écrire. C’est incroyable étant donné les méthodes  pédagogiques les plus farfelues qu’on utilise, mais ils y arrivent, ils y  arrivent malgré tout. Et certains y arrivent très bien, même avant l’école, avec  des méthodes, utilisées par la maman, complètement loufoques, et bien ils y  arrivent. Alors cela, ça ne s’explique pas par les apprentissages et cela reste  un obstacle fondamental aux réductions. C’est ce qui fait que l’illusion de  ramener la mesure des psychothérapies sur base biologique, de ramener  l’inconscient sur base biologique, ce sont des fausses fenêtres, ce sont des  voies en impasse, ce n’est pas par là qu’on obtiendra, en effet, la réduction,  ou disons, la domestication de l’inconscient.
Au  fond, dans les tests, dans toutes ces évaluations, qu’est-ce que l’on saisit  d’important ? Probablement pas l’essentiel, on ne saisit qu’une toute  petite part de ce qu’il s’agit et on y investit toute son activité dans une  sorte d’effort incroyable des procédures sociales de se rendre transparente à  elles-mêmes. La société tente de se voir elle-même. C’est le stade du miroir de  la gouvernance, « je vais arriver à me voir », « miroir dis-moi  que j’ai la best practice, Oh ! mon miroir… » et je suis prêt  à extraire de moi cette image pour que, dans le miroir, je sois sûr d’avoir  fait le mieux. Il y a beaucoup d’obstacles à cela, même le commentateur David  Brooks – que ceux d’entre vous qui lisent les journaux américains  connaissent, c’est un commentateur de droite intelligent, qui occupe une  position symétrique, sur l’échiquier politique, par rapport à Marilyn Strathern –  David Brooks faisait récemment, le 13 novembre26, une  chronique qu’il appelait « Human capital ». Dans sa chronique,  il critiquait, du point de vue d’un conservateur éclairé – Brooks n’est  pas un progressiste – il critiquait tout le programme dans lequel est  lancé l’administration Bush, qui est programme, précisément, de test-évaluation  sur tout le système de l’enseignement. Et il notait ceci : À vouloir  réduire l’intelligence, qu’il appelle ici le « capital humain », – c’est  quand même un conservateur, il parle à sa base électorale – à des skills,  à des talents évaluables, qu’est-ce que l’on obtient ? Simplement des catastrophes  de choix de politique publique, nous dépensons plus, par tête, dans l’éducation  que tous les pays sur la terre et nos résultats sont médiocres. « Le  programme “No child left behind” a traité les étudiants partout comme  des machines à acquérir des skills dans une roue économique » et  tout le résultat a été extrêmement désarçonnant, désappointant. « Ces  programmes ne sont pas fait selon la façon dont les gens sont. La seule chose  qui marche ce sont des liens locaux, des rapports d’humain à humain, qui  transforment les étudiants jusque dans leur être même. Il existe des écoles  extraordinaires qui créent une culture intense de réussite, il existe des  professeurs extraordinaires qui inspirent leurs étudiants… »27 à  transformer leur vie et à transformer leur travail, et ça c’est le véritable « capital  humain ». C’est le point de vue d’un observateur éclairé. C’est ce qui  montre que des conservateurs éclairés peuvent aussi rejoindre des critiques  progressistes. Mais, au-delà de ça, en effet, ou bien nous voulons former, dans  le champ de la psychothérapie, de la psychanalyse appliquée à la  psychothérapie, ou bien nous voulons former des gens standardisés, formatés,  prêts à appliquer des protocoles, et n’ayant comme seul talent que de savoir  appliquer le protocole pour la « substance abuse », le  protocole pour la dépression, etc., et d’avoir dans leur gamme de talent, de  pouvoir appliquer 15 ou 16 protocoles, un pour chacun des troubles que l’on  cerne. Ou bien ce sera cela, des gens formatés et qui ont le goût de ça :  être eux-mêmes ces machines. Ou bien nous voulons formater, non pas formater  mais produire, des sujets qui sauront, là où ils sont, entre les langues  spécialisées des différents secteurs, dans la façon éclatée dont se présentent  maintenant les programmes d’assistance qui ont besoin de psychothérapie… Le  fait que les sujets qui se présentent soient maintenant divisés, attrapés, à  travers les bouts de leur symptôme, plus, leur personnalité elle-même, qui est  le seizième de ce truc. 
Et  bien ce qu’il faut fabriquer c’est à la fois, des gens qui puissent être les  passeurs entre ces différentes langues, qui puissent non pas vouloir  fabriquer la langue standard, l’Espéranto qui  permet de pratiquer ces différentes langues, mais savoir parler à ces  différents praticiens, savoir être l’avocat, en effet, le porte-parole de ceux  qui n’ont pas la parole, être le porte-parole, la donner, à travers ces  systèmes de formatages et, au contraire, pouvoir permettre la naissance, dans  ces différents points, de transfert extraordinaires. Et bien ce qu’on doit  viser c’est précisément cela. C’est en tout cas ce à quoi nous, nous voulons  encourager ceux qui s’intéressent à nos travaux, c’est ne pas se précipiter sous  la toise de l’uniformisation mais, au contraire, essayer de produire la  différence qui permet de circuler entre les langues spécialisées, toujours plus  produites par le formatage des systèmes d’évaluation.
  Voilà,  je vous remercie.
Période de questions
Raymond Joly : Je  vais mettre la tête sur le billot et arriver avec une question de bon sens,  rien de plus déshonorant ! La psychanalyse, il faut tout de même que nous  puissions en parler et que nous puissions en parler en dehors du cercle des  analystes et des analysés, si tant est que ce mot ait un sens. Nous ne pouvons  pas nous contenter de dire : « la psychanalyse est une expérience  absolument extraordinaire, etc., etc., et c’est tellement intime que je ne peux  en parler qu’à mon analyste ».
É.L. :  Tout à fait d’accord, là-dessus tout à fait d’accord
Raymond Joly :  On ne peut pas en rester là alors, vous savez, je caricature mais il ne faudrait  pas, tout de même, que nous ressemblions aux gens qui disent « c’est  simple, j’ai vu dieu, ou j’ai vu l’aura, alors vous n’allez pas essayer  d’évaluer ma rencontre avec dieu, vous n’allez pas évaluer mon aura non plus… »  On ne peut pas tenir un discours comme ça.
É.L. :  Si vous me permettez les gens qui veulent évaluer et formater ils évaluent en  même temps le faith based  medicine. Time magazine fait régulièrement des couvertures  sur le thème la prière guérit, « prayer heals ». On mesure, on  met un IRM, et on voit que c’est excellent : être croyant guérit. Donc, si  vous voulez, il n’y a pas d’incompatibilité entre les scientistes qui formatent  et les mêmes qui croient en dieu. Je veux dire qu’ils sont prêts à accueillir  l’expérience. « J’ai cru en dieu » « mais oui, en effet, vous  croyez en dieu, la preuve ça se mesure ». Mais ceci dit, c’est une  incidence. 
À  part ça, sur votre question, je suis tout à fait d’accord, il faut parler de la psychanalyse. C’est  ce qui fait que je ne me tais pas, si vous voulez, c’est : il faut parler  de la psychanalyse mais il ne faut pas en parler dans l’uniformisation du monde  ou bien, avec ceux qui veulent nous impressionner et nous faire taire, sur  l’idée : ou bien vous passer par notre formatage et nos procédures, ou  bien taisez vous. Et bien non, nous parlerons de psychanalyse, tout à fait  d’accord, ce n’est certainement pas une expérience ineffable, ça se transmet,  il y a beaucoup de choses de la psychanalyse qui se transmettent. C’est pour cela  qu’on a reproché, par exemple, à l’orientation lacanienne… L’I.P.A. a reproché à  Lacan de s’adresser à tout le monde, d’avoir des séminaires ouverts, où  n’importe qui pouvait rentrer, sans besoin de montrer sa carte : « je  suis en analyse ». Non, non, c’était ouvert, n’importe qui pouvait venir. C’est  ce qui fait que ce soir je parle, les séminaires fermés ne sont pas la  tradition lacanienne. C’est : on parle à tout le monde. On parle de la  psychanalyse mais, certainement, nous ne voulons pas nous laisser impressionner  par l’aspect : « ah ! dans le monde moderne si jamais vous  n’êtes pas formatable, alors vous n’êtes rien ». Ah non, pas du tout, nous  sommes quelque chose, nous voulons tout à fait parler, c’est fondamental et  c’est comme cela, en parlant, qu’en effet il y aura des transferts qui viendront  à nous, et c’est comme ça que ça se fait, et pas dans cet exercice… J’oppose  cela, si vous voulez, à celui qui se tait et remplit en silence ces petites  coches standardisées, et qui est persuadé que c’est comme ça qu’il fait un acte  qui lui permet de s’adresser aux autres. Je crois que ça c’est une fausse  fenêtre et que la vrai fenêtre c’est en effet de parler à toutes ces langues  spécialisées en ayant l’idée que ça ne marche pas, que cette perspective de  formatisation du monde est une expérience qui simplement trouvera ses impasses.  Elle les trouvera et à mesure même qu’on voudra formater il y aura des  phénomènes qui se produiront ailleurs.
Et  c’est pour cela que les enquêtes qualitatives, les enquêtes du type de celles  des chercheurs que je voyais cet après-midi, mais qui se poursuivent dans  plusieurs pays du monde, des enquêtes à partir, non pas du formatage, mais au  contraire à partir de l’expérience singulière qu’ont différents usagers du  système de santé… Quand on voit les parcours étranges qu’ils font, quand on les  recueille, et pas par l’expérience de satisfaction, pas « cochez la case, “êtes-vous  satisfait ?” », « oui », ou bien « je vous aime, un  peu, beaucoup, à la folie » etc., non pas ça. Les faire parler sur la  façon dont ils ont utilisé le système de santé. Evidemment, on découvre un tas  de choses surprenantes. Ils utilisent cela de façon absolument atypique dont  n’ont pas rêvé les formateurs, ils n’ont pas du tout pensé que ça allait  produire ce type d’effets. 
  Si  vous voulez, c’est en ce sens… Il me semble, en effet, que j’ai le même souci  que le vôtre, c’est qu’il faut absolument parler de la psychanalyse, ça n’est  certainement pas une expérience ineffable de cet ordre, il y a beaucoup de  choses de la psychanalyse qui peuvent se transmettre mais pas sous la forme simplement  de l’indice, de la cote, du résultat chiffré. Alors c’est un pari, d’accord, je  ne dis certainement pas que j’ai la bonne   solution, surtout que c’est une solution qui change sans cesse, à mesure  que la civilisation change, se déplace, à mesure que nous ne parlons pas au  même autre en tant que, du lieu de la psychanalyse, on ne parle pas au même.
  Si  vous voulez, Lacan a trouvé une façon de parler au monde dans lequel il était  en 1960, ce n’est pas du tout la même chose maintenant, on a vraiment changé de  siècle et pas seulement, on a changé, vraiment, on a changé d’Autre à qui l’on  parle. Donc il faut trouver, et comme on est moins astucieux que Lacan on a  plus de mal, mais il faut trouver une façon de parler à ce monde-là et, en  effet, montrer les difficultés aujourd’hui des impasses dans lesquelles cette  société angoissée, inquiète, désemparée, cherche à trouver dans une  néo-certitude scientifique quelque chose pour s’appuyer, un sol ferme, puisque  seule la science nous donne actuellement dans le monde un sol ferme. « Essaye… ».  Sauf que la science ne produit plus tout à fait les mêmes effets de soulagement  qu’à l’époque de Descartes. Vraiment Descartes, oui, ça a produit du  soulagement, lui, il a eu l’idée qu’il avait trouvé un truc. Ou Locke qui, en  lisant Les Éléments d’Empédocle, pleurait de joie, il avait trouvé quelque  chose enfin. Le seul problème, maintenant, c’est que la science ne produit pas  tout à fait les mêmes effets parce qu’entre temps il y a eu la bombe atomique,  les camps de concentration, il y a eu un certain nombre d’ennuis qui ont fait  que malheureusement on ne peut plus faire absolument confiance pour gérer les  sociétés humaines, on a des problèmes plus complexes. Alors c’est en ce sens je  crois qu’il faut trouver, que c’est décisif de trouver, des façons de parler de  notre époque et, en même temps, pas l’intimidation, pas céder devant  l’intimidation de : « ou bien vous faites ça, ou bien vous vous  taisez ». Je ne sais pas si j’ai répondu…
Stéphane  Quinn : Mais justement puisque vous parlez de ça est-ce que vous  pouvez nous donner des pistes sur comment en parler ?
É.L. :  Alors je prendrai les mêmes pistes, ce qu’il faut montrer en tout cas c’est  comment, dans la conception psychanalytique du sujet, il faut partir, non pas  de la réduction du langage dans des systèmes d’apprentissage mais, au  contraire, de l’excédent langagier. C’est ce que Chomsky a dit des pouvoirs du  langage qui est de produire des phrases infinies. Lacan dit : c’est ce qui  prouve que le langage excède le vivant, le langage est un  parasite, le langage se nourrit de nous. Vous  savez dans Matrix, il y a des humains qui sont en fait des espèces de  poules pondeuses pour les entités, pour la machine… Et bien c’est vrai, nous  sommes ça. L’énergie que nous mettons c’est pour une sorte de machine  signifiante, un bain de langage qui nous mène par le bout du nez, qui est  au-dessus de nous comme les mouches dans la pièce de Sartre, comme l’était la  culpabilité qui entraînait Oreste, c’est au-dessus de nous et ça nous  mange, ça nous mange…
Ce  n’est pas qu’on respecte des programmes formatés, c’est que l’inconscient nous  mène par le bout du nez, c’est qu’on fait des passages à l’acte, c’est qu’on  aime, on s’épuise dans des activités, on est work alcoholic, on a les substances abuse, etc.,  parce qu’on n’y arrive pas, avec notre corps, à fournir à cette jouissance. Et  que l’être humain, en effet, est un animal assez malade qui, dès que il y a  quelque chose qui lui fait plaisir, ça passe au-delà du principe de plaisir.  Comme disait le chanteur de flamenco Camaròn de la Isla, un grand penseur :  « tout ce que j’aime, ou bien c’est interdit, ou bien ça fait grossir »  (rires). 
Donc,  si vous voulez, nous rappelons que sous l’activité humaine, sous cette  activités, ces pensées, nous suivons des normes, il y a des idéaux, il faut se  conduire comme-ci, comme ça… Le problème, c’est que, dans tout ça, on cherche à  extraire un plus de jouissance. C’est cela la vérité de l’expérience  freudienne, c’est que toute l’activité humaine est faite pour produire ça à  partir de nos corps. Les corps, ce n’est pas simplement fait pour les droits de  l’homme, ce n’est pas un habeas corpus simplement, c’est habeas  corpus plus libido. Et ce corps, ça sert à produire une machine à produire  un plus de jouir, ces sortes de choses pour lesquelles on fait des tas de  bêtises, pour lesquelles on a des mauvaises habitudes, etc. Et que, en effet,  rappeler toujours cette perspective, non pas seulement en termes de « mauvais  apprentissages », mais prendre cela comme biais sociologique, sur une  civilisation, sur une communauté, produit des effets très intéressants et  permet de réduire, de saisir, un certain nombre de faits sociaux, de faits  individuels de notre vie, qui autrement restent très opaques. Et donc,  simplement, l’idée : « débarrassez moi de ça, je suis prêt à ce qu’on  me fasse passer par des protocoles autoritaires pour qu’on me débarrasse de ça »…  Ça a des limites. Et c’est en effet ce qui  revient, on s’en aperçoit.
Donc, la piste fondamentale,  l’horizon, c’est cela : rappeler la vérité freudienne, c’est que ce ne  sont pas des idéaux, ce ne sont pas des habitudes, ça n’est pas la conformité à  des façons de vivre, c’est la façon dont nous-mêmes, chaque fois, faisons l’expérience  la plus profonde… C’est ce qui fait que nous ne sommes pas, justement, tout à  fait adaptés à des protocoles de vie quels qu’ils soient, il y a des tas de  causes, et que ça, il faut le respecter. C’est quelque chose qui doit être  traité avec  respect et approché, en  effet, par le biais d’une expérience langagière par laquelle on arrive à  déplacer, changer, introduire des discontinuités. Une interprétation, ça  introduit une discontinuité dans un tissu. Une psychanalyse, ce n’est pas des  changements progressifs des mémoires procédurales. L’expérience d’une  psychanalyse ce sont des interprétations, c’est une discontinuité. Et la vie des  communautés, la politique, ce sont aussi des discontinuités. Il y a des  interprétations. Lacan disait : le modèle   d’une interprétation c’est Thémistocle qui fait sortir les galères de  Salamine alors que tout le savoir de la guerre à l’époque disait qu’il ne  fallait pas sortir les galères, à ce moment là, contre la flotte perse. Et lui,  contre le savoir établi, précisément, il décide d’attaquer, de faire sortir  toutes les galères du port du Pirée, et c’est comme ça qu’ils ont gagné la  guerre de Perse. Donc, il dit que c’est une interprétation qui trouve une  solution à un problème, mais ça introduit une discontinuité. C’était une  interprétation, puisque l’oracle de Delphes avait dit : « Ce qui vous  protégera des Perses c’est une muraille en bois ». Alors, évidemment,  comme l’oracle de Delphes était un bon analyste, c’était ambigu. Qu’est-ce que  veut dire « muraille en bois » ? Il y a ceux qui disaient :  « il faut construire des murs, on va les arrêter sur terre ». Et il y  a ceux qui disaient : « la seule muraille en bois que nous avons, ce  sont nos bateaux, il faut sortir en mer ». Alors ? Comment  fait-on ? 
Précisément, celui qui trouve la bonne interprétation... Si vous voulez, De Gaulle, venant ici et disant : « Vive le Québec libre ! ». Il y a un avant et il y a un après. À son retour en France, quand il a su cela, tout le patronat français a bien vu que là, il avait vraiment disjoncté un peu trop et qu’il fallait le remplacer par Pompidou vite fait. Là, il y a un avant et un après. Il a été poussé vers la sortie, rapidement. On a augmenté, bien sûr, un peu la dose… – ce n’est pas un secret historique – on a augmenté un peu la dose de calmants et on a pensé qu’il valait mieux qu’il se retire rapidement pour laisser à des gens plus sérieux le soin de gérer une société compliquée. Il y a un avant et un après. L’histoire du « Je vous ai compris » pour régler la question du problème Algérien, dans le malentendu que cela a engendré, ça a changé la situation. Les gens ont eu leur message sous forme inversée. Avoir son message sous forme inversée, comme disait Lacan, c’est aussi la célèbre phrase : « les promesses électorales n’engagent que les gens qui les écoutent ». C’est cela, avoir son message sous forme inversée. C’est : « je veux entendre cela, on me le dit, je crois que c’est cela ». C’est ce système-là, de savoir que la communication humaine ça marche comme ça... En effet, les pistes, c’est former les sujets qui puissent tenir compte de tous ces phénomènes, et dans des contextes où vous avez des gouvernements affolés, qui veulent absolument standardiser l’humanité, qui veulent surtout la changer : l’humanité souffre trop ; il faut la changer ; il faut la contrôler ; faire des organismes génétiquement modifiés… C’est demain, c’est annoncé comme espoir. Si on trouvait enfin le gène de la dépression immédiatement, tout le monde, allez ! Tout le monde serait opéré. On change de gène. Mais ça ne marchera pas.
Ce sont donc de fausses fenêtres, de  fausses perspectives. Il faut trouver une façon de s’adresser au maître, il  faut s’adresser aussi à l’humanité souffrante, pour dire que non, ces voies de  standardisation sont des voies en impasse, ça oblige au malheur, bien qu’on  dise : « Non, non, pas du tout, l’évaluation, ce n’est que pour  le bien ». Les délires pédagogiques les plus fous, ont toujours été faits  au nom du bien des gens. Ça, c’est une constante dans l’histoire et, en effet,  il faut pouvoir se faire entendre là-dessus.
Alors maintenant, pour les questions  du « comment faire ? », etc. Justement, pas de formatage !  À vous d’inventer, à vous d’inventer ici, vous donner le désir de faire, pas le  désir de vous taire, pas l’attente terrorisée, le côté : « si je ne  suis pas formaté… Alors, je n’ai pas le droit d’exister »… Dans  lequel, un certain nombre d’évaluateurs voudrait nous résoudre, la position  d’être apeuré qui laisserait la place à d’autres. Non, il faut que vous  inventiez et vous donner l’envie de devenir vous-même une exception, qui peut  engendrer des transferts. Là où vous êtes, avec ce à quoi vous avez affaire,  avec les langues spécialisées avec lesquelles vous avez affaire, avec les  formateurs, le désir des formateurs à qui vous avez affaire. Trouver la façon  de les subvertir, tourner ça, faire un judo avec ça. Il ne suffit pas de dire,  en effet, « c’est ineffable », la remarque de monsieur était fort  juste, il ne suffit pas de dire « on a le secret ». Trouver une façon  de le dire telle que ça passe. Il y a un judo à faire. Les évaluations  qualitatives, c’est une façon, là où les gens ne jurent que de ça. Mais il y en  a beaucoup d’autres. 
Hélène Charpentier :  Je suis peut-être très à côté de la plaque, parce que je ne travaille pas  là-dedans, je suis en thérapie, mais enfin...
É.L. : Et votre thérapie,  elle vous donne envie… ?
Hélène Charpentier : Elle  me donne envie de dire quelque chose, elle me donne envie de plein de choses,  certainement, bien sûr. Alors je voulais vous dire cette envie de « formater »  comme vous le dites, est-ce qu’on ne peut pas voir ça comme un symptôme, une  tentative de faire quelque chose, et puis qu’à ce moment là c’est peut-être  juste une tentative pour nommer, séparer. Est-ce que dans votre façon de  vouloir résister à le formatage, est-ce qu’il n’y pas un besoin de rendre  compte de cette tentative, de publiciser ce que vous pouvez dire sur ce formatage.  Pas seulement pour la refuser, mais pour dire : voilà à quoi elle  correspond. Pour moi, je me disais, est-ce que ce n’est pas une tentative de  nommer, d’essayer circonscrire.
É.L. : Je suis tout à  fait d’accord avec vous.
Hélène Charpentier : Et  à ce moment-là, est-ce qu’on peut s’en servir à condition de s’en passer, d’une  certaine façon.
É.L. : Ça c’est très  sophistiqué. Vous êtes non seulement dans la plaque, mais c’est une plaque très  sophistiquée.
Hélène Charpentier : Je  vous laisse le soin de répondre alors. (rires)
É.L. : Comment  voulez-vous ? Vous me dites déjà, vous m’expliquez ce que je pouvais dire.  Vous m’envoyez mon message avant même que je le dise. La logique de « s’en  passer, s’en servir », en effet c’est très sophistiqué, ce paradoxe chez  Lacan. C’est ce que je disais avant sur le thème du judo. Il ne faut pas  seulement dire « non, nous ne mangeons pas de ce pain-là. » On dit  tout à la fois :
1- On ne mange  pas de ce pain-là.
2- On est pour l’évaluation  qualitative.
3- On est contre toutes les évaluations.
4- On a des façons d’évaluer à  nous.
5- On veut donner des façons  nouvelles d’évaluer.
On dit tout à la fois. Et c’est en effet  du type « s’en passer s’en servir ». C’est-à-dire que face à la  machine très puissante avec laquelle on affaire, il faut faire, en effet, des  judos compliqués.
Là où je peux, comme dans l’audience que je suppose ici, je parle comme je parle. Quand je me retrouve dans le cabinet du ministre de la santé, je ne dis pas tout à fait la même chose. Je ne dis pas tout à fait la même chose… Mais, moi je m’y retrouve.
Hélène Charpentier : Bien  sûr vous êtes le sujet de ce que vous dites.
É.L. : Je ne dis pas  ça. J’ai plutôt l’idée… Je sais à peu près où je loge l’objet dans tout ça.  Savoir ce que parler veut dire c’est, au fond, savoir où on loge l’objet. Se comprendre,  c’est savoir, en commun, où on a mis l’objet a. Quel est le mode de  jouissance en jeu. Et là on arrive à cheminer dans le malentendu, quand on sait  à peu près où c’est. On fait communauté.
Au  fond, il faut arriver… – en effet – d’accord avec vous… Quand vous avez  une civilisation extrêmement angoissée, qui tente de nommer ce qui lui arrive,  dont je dis : « c’est la recherche d’une certitude scientifique »,  vous dites : « c’est une façon de nommer ». Tout à fait d’accord.  C’est une façon de nommer dans la mesure où ça allège de l’angoisse. C’est cet  objet là.
Donc,  en effet, la tentative de ce qui est innommable, de ce qui partout s’ouvre, exsude  de ratages, de choses qui, partout, n’arrivent qu’au fait que rien ne marche  dans nos sociétés complexes. Avec des menaces… Nous devrions vivre en paix,  nous avons un ennemi qui n’a pas de forme. Nous vivons dans un état de guerre  et non dans un état de paix. Comme le disent un certain nombre de philosophes,  nous vivons maintenant dans l’état d’exception permanente. C’est que le régime  normal des démocraties, maintenant, est un état d’exception. Les Etats-Unis, la  plus grande démocratie du monde, est en train de vivre sous le « Patriot  Act » depuis le 11 septembre.
En  France, pour traiter un problème qui était déjà réglé, ils ont prolongé de  trois semaines l’état d’urgence, tout le monde se demande pourquoi. Et les  professeurs de droit nous expliquent dans les journaux, dans Le Monde en  particulier, tribune de professeurs de droits s’il en est, ils nous expliquent  que ce n’est pas utile. Bien entendu que ce n’est pas utile, mais ce qu’ils ne  voient pas, c’est que c’est nécessaire pour jouir. Parce que l’état d’exception  devient la jouissance du maître. Qu’il n’y arrive pas. Dans le même moment où il  formate tout, au même moment le maître a l’idée que quand même ça lui échappe,  et donc il faut l’état d’exception.
Vous  avez Berlusconi qui vit dans l’état d’exception, l’Italie entière vit dans  l’état d’exception législative. Ils ont des lois insensées. Des lois entières  sont prises pour protéger un homme. On n’a jamais vu ça dans l’histoire des  lois italiennes. C’est un état d’exception.
La  grande coalition Allemande, c’est aussi un état d’exception. Vous avez des  partis opposés qui ont décidé, comme ça, décidé de gérer les crises du pays,  brutalement, ils se mettent d’accord pour un état d’exception. C’est-à-dire que,  brutalement, ils prennent des mesures qui n’étaient dans aucuns des programmes  de leurs partis. Les électeurs ont votés pour chacun d’eux et ils se retrouvent  avec un programme, qui est le programme technocratique qui était là, de desserrer  et casser le marché du travail, libérer un certain nombre de trucs, etc.  personnes n’a voté pour ça. Et c’est pris, dans une circonstance  d’exception.  
Vous  voyez combien, en effet, ce monde anxieux tente à la fois de faire tout rentrer  dans les cases, en même temps le maître excède ça toujours parce que justement  ça n’arrive pas à se nommer, ça n’arrive pas à rentrer dans les bonnes  procédures.
On  m’a dit qu’un article allait être publié, bientôt, un article par quelqu’un qui  justement, lutte sur cette idée des meilleurs procédures, le benchmarking,  la comparaison des bonnes pratiques, sur le thème : « La subversion  du meilleur pour les suffisamment bonnes ». Donc, mélangeant dans le titre  – je ne sais pas exactement – c’est pour cela que je vais le lire cet  article, parce qu’on voit que ça mélange un terme lacanien : « subversion »  avec un terme Winicottien le « suffisamment bonne », mais je trouve  ça néanmoins très astucieux pour, en effet, trouver à toucher à ça. L’illusion  de tout ça.
En  France les économistes, en économie politique, ont montré combien c’était  illusoire l’idée de vouloir gérer des décisions d’économie politique par un  système de petits bouts, on va prendre les meilleurs pratiques là, là et là, on  les extraits de leur contexte… C’est comme le symptôme extrait d’une  personnalité, ça ne mène nulle part. Par exemple, la meilleure pratique en  Hollande, société calviniste, tenue par un pouvoir social extrêmement fort… Considérer  la pratique qui marche là, la mettre en France, avec une société extrêmement  hétéroclite, hétérogène, enfin tout ça ne servira qu’à mettre les choses à feu  et à sang, c’est tout.
Lorsque  l’Allemagne qui, après le traumatisme des années vingt, ne pense qu’à une seule  chose, c’est surtout qu’il n’y ait pas d’inflation, parce qu’il y a encore les  grands parents qui ont connu ça. Et de fait, toute l’Europe a été maintenue  pendant quinze ans à une absence d’inflation, ce qui fait que toute l’Europe  s’est tapée 12 % de chômage, avec une économie en panne, qui maintenant nous  fait des sociétés à peine gérables. Et tout ça parce que c’était la bonne  pratique de la Banque centrale Allemande, etc., etc. On trouve cela dans  beaucoup de domaines.
Ces  illusions du formatage doivent être plutôt, à chaque fois, si je puis  dire,  un travail de critique lucide. La  psychanalyse ça doit aider fondamentalement, non seulement à soulager de la  souffrance, mais à ne pas croire au Père Noël. C’est très difficile de ne pas  croire au Père Noël. Tout est fait pour qu’on croie au Père Noël, et en  particulier l’évaluation. L’évaluation c’est fait pour croire au sujet supposé  savoir, croire que le calcul nous donnera la solution. Que cela  ait une forme de série statistique, peu importe, c’est une forme de Père Noël.  Que quelque part il y a un Père Noël qui calcule, qui fait que finalement le  monde n’est pas trop mal fait. C’est la Théodicée leibnizienne corrigée par le  monde contemporain.
C’est  en ce sens, dire ne pas croire à c’est fausse nomination, ne pas croire à  l’empire de la croyance sous ces formes modernes, aux nouveau dieux.
Hélène Charpentier : Mais  est-ce que la psychanalyse le dit, le diffuse...
É.L. : La  psychanalyse je ne sais pas ce qu’elle fait, mais il y a quelques  psychanalystes qui le font.
Hélène Charpentier : Vous  écrivez dans France Soir ? Je dis ça à la blague.
É.L. : Mais c’est  dans Le Monde.
Hélène Charpentier :  Je suis contente de l’apprendre.
É.L. : Des amis… Moi,  ils m’ont refusé trois fois, mais je suis patient, ça va finir par arriver. On arrive  à se placer, à trouver des façons de donner envie à des personnes, précisément,  pour dire comme vous le faites qu’il y a des tas de façons de « s’en  passer, s’en servir ».
Michel Johnson :  Pas tant une question qu’un témoignage, peut-être. Tout au long de votre exposé  je me disais : c’est tellement actuel ce que vous dites. J’en parle  régulièrement avec ma conjointe et tout le monde à qui j’en parle au travail  semble concerné aussi. On sent une incroyable pression de mesure de qui on est,  avec un fond, derrière, qui semble presque dire : « c’est pour te  remplacer. C’est pour réduire ».    Quand vous dites effectivement qu’il y a une sorte de judo ; dans la  structure, comme je la vis, ce qu’on voit, c’est que c’est souvent la  hiérarchie qui impose ce que vous avez appelé tout à l’heure « le  meilleur ». Dans le fond, si on parle hiérarchie je vais me taire sinon je  me fais hara-kiri. Mais si on enlève cette hiérarchie-là et que l’on se parle  entre nous je vois bien que parfois – et ça je ne le dirais pas comme  ça – mais c’est un peu l’ambition du, ou des, postes que tu veux aller  chercher, qui te fais répéter ce qu’on te dit là-bas. Mais lorsque l’on s’en  parle entre nous, on voit bien qu’il y a d’autres visions, d’autres fenêtres,  d’autres possibilités aussi. Mais, à un moment donné, il n’y a plus de  possibilités parce que, pas très loin, en haut, ça s’est décidé comme ça, et  cela se résume souvent à vouloir satisfaire l’actionnaire.
É.L. : Je suis tout à  fait d’accord. Si vous voulez, la pression de l’uniformisation, la pression,  sous le couvert du « c’est la best practice, donc taisez vous et  faites ». La pression de conformisation a atteint des niveaux plus  importants. Il y a des contre phénomènes. Par exemple, le fait qu’il y ait en  effet une dé-conformisation, au niveau des sexualités, le fait que nous soyons  à l’époque où Judy Foster fasse une théorie sous le thème : quelles que  soient les sexualités, l’assignation, nous n’en sommes plus au point où il faut  simplement se définir comme hétérosexuel, homosexuel, gay, lesbien, etc. Qu’il  y a une expérience de transe, une expérience de « désassignation » à  une identification. Vous avez là des phénomènes qui sont de déstandardisation,  en fin de compte.  Mais, à certains niveaux  de l’expérience subjective, vous avez ces phénomènes de déstandardisation voulus  comme phénomène de masse, de désidentification, si l’on veut. Et de l’autre  côté, vous avez des phénomènes de conformisation extrêmement puissants,  d’identification, d’assignation, donc de formatage.
Vous  avez raison, votre question introduit l’exposé compagnon de ce que je devais  faire : Premièrement, il faut savoir ce que c’est ; deuxièmement il  faudrait qu’on saisisse tous les phénomènes de déstandardisation qui sont l’autre  façon de nommer l’innommable. C’est : rien n’est innommable puisse qu’au  fond je peux en faire l’expérience. Je peux faire l’expérience d’une sexualité  qui n’a pas de nom. C’est une utopie, mais elle existe cette utopie :  l’utopie de l’expérience, du déstandardisable par rapport à toutes les  assignations.
Et  il y a, en effet, dans notre civilisation, un double mouvement. C’est un  mouvement d’un côté, accompagné d’un mouvement de l’autre. Ce n’est pas où l’un  ou l’autre, c’est les deux à la   fois. Et c’est ce qui fait que notre civilisation n’est absolument  pas construite comme la civilisation du temps de Freud avec simplement l’assignation  fixe, et avec un système répressif. Ce n’est pas ça. C’est un système permissif  dans beaucoup de domaines et, en même temps, un système de conformisation très  fort.
Donc  c’est ce type, des deux à la fois, qui fait l’originalité du mode dans lequel  nous nous déplaçons, et sur lequel, pour le judo avec ça, qui peut s’appeler « déconstruction »,  qui peut s’appeler le « bien des noms » ; plus profondément comme disait  Lacan avec « s’en passer pour s’en servir » c’est-à-dire respecter  ces semblants. Il faut comprendre comment c’est monté et essayer de défaire une  puissance qui, à l’horizon, dégoutte d’exister, qui donne des passions tristes.
Un autre participant :  Il y a quelque chose qui m’a souvent interpelé, dans une position comme dans  l’autre, c’est-à-dire une vision d’objectivité qui consiste à évaluer ; et la  position psychanalytique avec la subjectivité. Ce qui m’interpelle c’est que dans  les deux cas de figure, en tout cas chez les praticiens, on a deux positions  extrêmes qui refusent catégoriquement, l’une comme l’autre, d’utiliser ou  d’aller parler « la langue du diable » de l’autre. C’est-à-dire qui  refuse aussi d’accepter un consensus entre les deux, parce que vous définissez  quelque chose… On vous écoute, c’est limpide… 
É.L. : C’est formidable, c’est un compliment.
Le même participant :  Non mais ça s’entend, c’est évident. Vous exposez une position qui paraît  aberrante, dans le processus d’évaluation. Autant que s’il y avait des tenants  de l’autre position dans cette salle, ils vous diraient que ce que vous dites  est incompréhensible, quelque part. Et, dans les deux cas de figures, c’est des  positions qui sont campées. C’est juste ça qui m’interpelle.
É.L. : Ce que je vous  dirais c’est que ce n’est pas si campé que ça, puisque que justement, dans la  critique que mes collègues de L’IPA ont fait du processus d’évaluation de l’étude  du NIMH…ce qu’ils ont constaté c’est que, que ce soit les cognitivo-comportementalistes  où les interpersonnels, ils font la même   chose. C’est-à-dire que c’est au niveau, au contraire, de la pratique  qu’il y a quelque chose comme un consensus de fait. Parce que là, sur l’étude  du NIMH, c’est vérifié par ce dispositif très luxueux… Ils ont vérifié qu’au  fond les gens font la même chose. Ou bien, au niveau pratique, vous demandez à  des praticiens, à l’Ordre des Psychologues… La Présidente me disait ce matin que  les gens demandent à être inscrits sous deux orientations parce qu’ils disaient  que s’ils s’inscrivaient sous l’orientation psychanalytique ils n’auraient pas  de clients. Donc ils voulaient s’inscrire sous l’orientation psychanalytique et  thérapie comportementale, pour être bien sûr que rien n’échappe. C’est  raisonnable mais, si vous voulez, voilà le consensus. Le consensus il est de  fait.
Ce  que je dis, c’est qu’il y a un consensus de fait au niveau de la pratique.  Que, effectivement, quelqu’un de bon sens  voyant arriver une phobie extrêmement grave ne le prend pas en analyse. Si  quelqu’un a besoin, pour venir chez vous, d’être accompagné en permanence,  franchement, c’est beaucoup se compliquer la vie. Il faut des cas très favorables pour les  prendre en analyse. Il faut que les gens puissent avoir une certaine autonomie  pour venir vous voir, c’est mieux. 
Alors  que l’on essaye pendant un certain temps de les accompagner, qu’ils aient des  accompagnements thérapeutiques… D’ailleurs, il vaudrait mieux qu’ils aient une  formation analytique aussi, ce serait aussi bien pour accompagner de façon  utile. Mais, déjà, que ce ne soit pas simplement le mari qui accompagne sa  femme, comme le disait la Présidente de l’Ordre. Que, déjà, il y ait ce premier  déplacement, quelquefois c’est tout ce qu’on peut faire, comme début, d’accord.  Au niveau pratique, il y a un consensus de fait.
Mais,  il y a un problème, c’est  que, si ce  consensus de fait est étayé par l’idée que le fondement théorique est le même,  non. On le voit donc à l’Ordre des psychologues du Québec, on le voit dans  l’étude sur la pratique de nos collègues américains, en France c’est pareil.  Les gens font les deux.  Pour un  psychanalyste, il peut d’ailleurs faire, de temps en temps, un stage de  formation en thérapie comportementale, cela prend six mois. Ce n’est pas hors  de portée, donc ils font les deux. Mais la question c’est comment, si vous  voulez, si ça se paye du fait de ne pas voir qu’en effet ce n’est pas la même  chose, le sujet issu des traces de l’apprentissage et le sujet dont  l’inconscient se déduit de l’excès du langage sur tout dispositif cognitif. C’est  précisément deux perspectives, deux visions du monde incompatibles.
C’est  en ce sens que je crois que l’on peut rendre compte d’une situation qui est complexe,  en effet.
- 1. Taylor, C., The politics of recognition, in Philosophical arguments, Harvard University Press, 1995, p.246-248
 - 2. Les opposants au projet de tribunaux islamiques manifestent au Canada in le Monde.fr, 09/09/05, disponible sur le site
 - 3. S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, paru en 1901.
 - 4. Rapport de l’OMS cité in Psychothérapies : définitions, pratiques, conditions d’agrément. Rapport du Conseil Supérieur d’Hygiène n°7855, approuvé par le groupe de travail le 21/06/2005 et validé par le Collège transitoire le 13/07/2005, Bruxelles, pp 6.
 - 5. LUBORSKY, L., ROSENTHAL, R., DIGUER, L., ANDRUSYNA, T. P., LEVINE, J. T., SELIGMAN, D. A., BERMAN, J. S., & KRAUSE, E. D. (2001). The Dodo Bird Verdict is alive and well – mostly. Clinical Psychology : Science and Practice, 8.
D’autres études aboutissent aux mêmes résultats :- SMITH M. L. & GLASS G.V., « Meta-Analysis of Psychotherapy Outcome Studies », American Psychologist, 1977, 32 : 752-760.
 - SHAPIRO D. A. & SHAPIRO D., « Meta-analysis of comparative therapy outcome studies : a replication and refinement », Psychological Bulletin, 1982, 92 :3.
 - SHAPIRO D. A. & SHAPIRO D., « Comparative therapy outcome research : methodological implication of meta-analysis », Journal of Consulting Psychology, 1983, 51 : 42-53.
 - WAMPOLD B.E., MONDIN, MOODY M., STICH F., BENSON K., AHN H., « A Meta-analysis of outcome studies comparing bonafide psychotherapies : empirically, « all must have prizes » », Psychological Bulletin, 1997, 122 : 203-215.
 - GRISSOM R.J., « The magic number. 7+2 : meta-meta-analysis of the probability of superior outcome in comparisons involving therapy, placebo, and control. », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1996, 64 : 973-982.
 
 - 6. Alice aux pays des merveilles est paru en 1865 et L’Origine des espèces de Darwin a été publié en 1859.
 - 7. A « caucus race », caucus est encore un terme de la vie politique américaine. Il désigne ces rassemblements de sympathisants déclarés d’un parti qui votent lors des primaires.
 - 8. Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, chapitre 3, p.56-59, Collection Bouquin.
 - 9. Expertise collective de l’INSERM, « Psychothérapies : Trois approches évaluées », Paris, Les Editions de l’INSERM, 2004, disponible sur plusieurs sites après son retrait du site du ministère par intervention du ministre.
 - 10. A beautiful mind, film de Ron Howard, USA, 2001, d’après le livre de Sylvia Nasar.
 - 11. WESTEN D., NOVOTNY C. M., THOMPSON-BRENNER H. The Empirical Status of Empirically Supported Psychotherapies : Assumptions, Findings, and Reporting in Controlled Clinical Trials. Psychological Bulletin, 2004, vol. 130, n°4, pp. 658.
 - 12. Thérapie cognitivo-comportementale développée par Beck et coll. à l’Université de Pennsylvanie.
 - 13. Psychothérapie interpersonnelle décrite par Klerman, Weissman et coll. à New Heaven et Boston.
 - 14. Cf. THURIN J. M. Le programme collaboratif de recherche sur le traitement de la dépression. Disponible sur le site Techniques psychothérapeutiques.
 - 15. « Psychothérapies : définitions, pratiques, conditions d’agrément ». Rapport du Conseil Supérieur d’Hygiène n°7855, approuvé par le groupe de travail le 21/06/2005 et validé par le Collège transitoire le 13/07/2005, Bruxelles, pp 16.
 - 16. On appelle études « naturalistes » les études faites dans des structures de soin ordinaires et non dans des « laboratoires de recherche » cliniques sur des populations artificiellement complices. Cet hommage à la « nature » est ici étrange, peut être s’agit-il de dénier la dimension culturelle de la clinique.
 - 17. FULFORD, K., (2004). Ten principles of values-based medicine. In J. Radden (Ed.), Companion to the philosophy of psychiatry. New York : Oxford University Press.
 - 18. THURIN J.-M. Une évolution de la conception de la pratique basée sur la preuve à l’Association Américaine de Psychologie, dans le site Techniques psychothérapeutiques.
 - 19. Lourdes Rodriguez del Barrio ... [et al.], La santé mentale : cadre de référence pour la qualité des services dans la communauté, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, 2005.
 - 20. LEUZINGER-BOHLEBER M., STUHR. U., RUGER B. & BEUTEL M., « How to study the quality of psychoanalytic treatments and their long-term effects on patients well-being : A representative, multi-perspective follow-up study. » International Journal of Psychoanalysis, 2003, 84 : 263-293. Cité in « Psychothérapies : définitions, pratiques, conditions d’agrément ». Rapport du Conseil Supérieur d’Hygiène n°7855, approuvé par le groupe de travail le 21/06/2005 et validé par le Collège transitoire le 13/07/2005, Bruxelles, pp 19-20.
 - 21. Strathern M., Department of Social Anthropology, University of Cambridge, The tyranny of transparency, in British Educational Research Journal, Vol. 26, no 3, 2000, p.309.
 - 22. Kandel R., Biology and the future of Psychoanalysis : a new intellectual frame work for psychiatry revisited, in American Journal of Psychiatry, avril 1999, no 156, p.506.
 - 23. Ibid, p.509.
 - 24. ANSERMET François, MAGISTRETTI Pierre, A chacun son cerveau, plasticité neuronale et inconscient. Ed. Odile Jacob, Paris, 2004.
 - 25. Chomsky N., The case against B.F. Skinner, The New York Review of Books, December 30, 1971. Le texte est disponible sur le site internet de Noam Chomsky.
 - 26. Brooks.D, Psst ! « Human Capital », in The New York Times, 13/11/05.
 - 27. Ibid.